• Le safari

    Deuxième essai et second refus pour ce texte:

    La chaleur est accablante, le soleil lui-même semble respirer avec peine tant son rougeoiement ondule dans un ciel bleu désespérement pur. L’homme est trempé de sueur, il est sorti depuis peu de son 4x4 jaune clair, parce qu’il avait d’abord estimé que sa sécurité exigeait qu’il y restât mais peu à peu s’était instaurée en lui, la certitude que la tôle brûlante sur sa tête allait causer sa mort plus certainement que les bêtes sauvages qu’il craignait tant. Une heure plus tôt, il était encore un de ces heureux « safaristes » occidentaux qui s’achètent à prix d’or, une parcelle d’aventure et de frisson. La promenade avait commencé sous les meilleures auspices mais peu avant 15h, le 4x4 avait commencé à tousser, à fumer puis finalement après avoir expulsé un énorme nuage noir puant l’huile et qui avait mis un temps fou à se disperser, s’était purement et simplement arrêté, mort !

    Pourquoi avait-il eu cette idée folle, tellement inconsciente ou arrogante vis-à-vis d’un environnement hostile qu’il ne connaissait pas et qui présentait toutes les facettes du danger, de partir seul dans la savane ? Cette question, l'homme se la posait en se maudissant intérieurement depuis la panne fatidique.

    Bien entendu, il y avait la radio, mais « on » avait oublié d’en vérifier ou d’en recharger la batterie et après avoir pu indiquer vaguement où il se trouvait avant que le voyant vert ne s’éteigne définitivement, l’homme s’était retrouvé dans un isolement total. Il n’avait pas non plus d’arme, puisque ceci était une règle absolue de l’organisateur qu’il avait choisi pour ce séjour.

    L’homme en est certain, il lui faut absolument trouver un abri, à défaut de rejoindre son point de départ, avant que la nuit ne transforme son terrain d’aventure en terrain de chasse de prédateurs sauvages de toutes tailles. Il lui faut donc tenter seul, à pied, sans moyen de communication et sans arme de sortir vivant de cette infortune. Il prend la gourde à moitié vide qu’il avait mise à l’ombre de la voiture et sans un regard pour l’épave, s’engage sur la piste qu’il avait empruntée peu de temps auparavant plein d’enthousiasme. C’était vraiment un cauchemar.

    L’homme marche lentement, tous ses sens en alerte, s’arrêtant aux moindres bruits, aux moindres mouvements d’herbes, aux moindres frissonnements de vent. Marcher, presque paralysé par la peur, en sachant pertinemment qu’il faudrait au contraire aller vite pour avoir une chance de survivre, marcher sans faire l’erreur de croiser la piste d’un danger sur pattes, sans passer sous le vent d’un carnivore affamé, c’était à vrai dire, jouer à la roulette russe avec 5 balles sur les 6 possibilités du chargeur…. Soudain, le premier danger, dans un vacarme terrifiant, « surgit » devant lui à une centaine de mètres sous la forme d’un éléphant en furie. L’homme essaye de se remémorer les conseils à suivre en pareille circonstance, rester calme et immobile, facile à dire quand l’interlocuteur pèse plusieurs tonnes et ne semble plus en état de reprendre ses esprits avant d’avoir pulvérisé tout ce qui croise son horizon visuel. L’éléphant l’a vu, il va charger ! C’est la fin.

    L’animal secoue tête et trompe dans un balancement nerveux impressionnant, accompagné de rapides battements d’oreilles, puis il se met à charger en barrissant furieusement, comme un klaxon d’ambulance demandant qu’on dégage le passage. C’est bien ce que l’homme aurait souhaité faire, mais pour se cacher où ? Les herbes les plus hautes ne dépassent pas sa poitrine et aucun arbre ne se profile à une distance suffisamment réduite pour qu’il ait la moindre chance de l’atteindre avant d’être piétiné par le descendant du mastodonte. Au moment où il commence à renoncer, où l’espoir s’envole, un autre mouvement soudain se produit entre lui et l’éléphant lancé à pleine vitesse et un jeune rhinocéros sort de la savane, comme hébété de se retrouver en terrain nu. Hébété, il l’est encore plus quand il voit arrivé sur lui un éléphant furieux en plein charge et qui décide de changer de cible. Le jeune animal tente de fuir, ce qui a pour résultat d’entrainer l’éléphant loin d’un homme tremblant mais soulagé d'être toujours en vie.

    Après quelques minutes, ayant retrouvé une certaine sérénité, l’homme reprend sa marche. D’avoir échappé à ce danger terrible lui donne même la force et l’assurance nécessaire pour accélérer son pas et relâcher son attention, c’était d’ailleurs le meilleur moyen de s’éloigner au plus vite d’un éventuel retour du pachyderme. Il marche ainsi depuis près d’une demi-heure quand tout à coup un rugissement terrible lui étreint la poitrine. Pas de doute possible, le roi des animaux est dans les parages. L’homme s’arrête, figé par la peur mais surtout incapable de comprendre d’où est venu le rugissement. Instinctivement, il s’accroupit, puis peu à peu, il les repère, 5 lionnes, 3 presque allongées à une vingtaine de mètres sur sa gauche et deux un peu plus loin qui progressent lentement en rabattant vers le piège mortel un petit groupe de zèbres isolé du gros du troupeau. Le rugissement du lion avait signifié, l’ouverture de la chasse et lui se trouvait au milieu du terrain de jeu, pouvant à tout moment passer du statut de spectateur à celui moins enviable de proie !

    Lorsque un grand zèbre mâle adulte réalise ce qui se prépare, il se lance dans un galop frénétique et désespéré qui le fait passer à quelques mètres de l’homme tapi dans les hautes herbes. Les lionnes, elles, se sont concentrées sur les plus jeunes et sont déjà en train de faire tomber à terre celui qui va constituer leur repas du soir. Loin d’être soulagé, l’homme connait le scénario de ce qui va suivre, le lion qui rôde à proximité, va venir chercher sa part, excité par la faim et l’odeur du sang et de la mort et tout autour de la scène de crime, vont venir s’inviter, à bonne distance, les prédateurs charognards de seconde zone, incapables de tuer un gros animal, mais encore terriblement dangereux pour un homme seul et désarmé.

    Les parages vont devenir un peu trop fréquentés et surtout mal fréquentés. Il lui faut déguerpir au plus vite mais sans se faire repérer. Il rampe, lentement, suant de tout son corps. Il rampe, insensible aux griffures et aux pierres qui blessent ses jambes, son ventre, son torse. Il rampe, chaque mètre gagné signifiant une chance supplémentaire de survie. Finalement, il décide de se redresser. Le jour diminue peu à peu, et il sait que la nuit ne signifie rien d’autre que le pire. Certain de s’être suffisamment éloigné, il se dresse complètement et se met à courir sans plus de précautions. Heureusement pour lui, l’homme ne se rend pas compte du nombre d’yeux et d’oreilles qui suivent son déplacement, certains craintifs et attentifs, d’autres tentés.

    L’homme recommence à croire qu’il va réussir. Il retrouve des repères sur la piste qui lui donnent des indications de la distance qu’il lui reste à parcourir. Il se sent envahi par une sensation d’euphorie. C’est à ce moment qu’il entend un bruit qui le replonge immédiatement dans une angoisse profonde. Le son ne laisse aucun doute, ce sont bien des glapissements de hyènes et ils sont très proches. Si la hyène est un animal de taille moyenne, la puissance de ses mâchoires et surtout le fait qu’elle se déplace en hordes, ne laissent aucun espoir. Si c’est après lui qu’elles en ont, il est déjà mort ! Il tente le tout pour le tout en reprenant sa course. Il s’efforce de se concentrer sur la gestion de son effort mais c’est bien l’impression d’être poursuivi qui domine son esprit.

    Soudain, le silence revient. Est-ce le signe d’un assaut prochain ou d’une vraie accalmie, il ne va évidemment pas s’arrêter pour le vérifier. Peu à peu, il remarque que la piste change, s’élargit, signe que la civilisation et donc son salut se rapprochent. C’est d’autant plus appréciable que la clarté diminue à présent rapidement. Enfin, il pense distinguer des lumières, il sent l’odeur d’un feu de bois. Il y est, il a réussi, il est sauvé ! Encore quelques dizaines de mètres et ces péripéties angoissantes ne seront plus que souvenirs à évoquer comme faits d’armes héroïques autour d’un apéritif partagé avec des amis.

    Tout à sa joie et à son soulagement, l’homme ne voit pas une branche basse qu’un hasard malencontreux a placée sur ses pas. Il trébuche, titube et va finir par tomber au sol. Voulant amortir sa chute, il place instinctivement ses mains devant lui et pense ainsi avoir évité un choc trop violent. Ses mains reçoivent simultanément la même sensation de piqure, celles que les deux scorpions qui s’apprêtaient à s’affronter à mort, ont infligée simultanément à ce nouvel ennemi surgi de la nuit.

    L’homme sait que le venin des scorpions n’est que rarement mortel, mais il sait aussi qu’il est fortement allergique et que pour se protéger en cas de piqure ou morsure, il transporte en permanence un flacon maintenu au frais. Et par exemple, aujourd’hui, le frais était assuré par une petite glacière électrique branchée sur l’allume cigare du 4x4, où l’homme, dans sa précipitation, l’a laissée avec son précieux contenu. Le venin fait son effet et la réaction allergique commence à se développer. L’homme a froid, il frissonne, il se sent gagné par l’engourdissement, il ne parvient plus à bouger ses jambes, il n’a même plus la force d’appeler au secours, il sombre dans l’inconscience.

    Quelques jours plus tard, on pouvait lire cette dépêche de Presse sur un site d’information néerlandais.

    Un touriste néerlandais perd la vie au cours d’un safari en Afrique. Paulus Van Kerkenveg avait 32 ans. Natif d’Eindhoven, il avait économisé pendant des mois pour s’offrir un safari basé sur un concept particulier dans la mesure où après une rapide information, les touristes doivent se déplaçer seuls dans la Nature. Tout était apparemment prévu pour assurer leur sécurité, mais, dans le cas de M. Van Kerkenveg, la fatalité a accumulé les obstacles. Le véhicule qui lui a été attribué par erreur devait aller en réparation dans la semaine, la batterie de la radio présentait un défaut de tenue de charge lorsqu’on la mettait en marche et aucune carte n’avait été laissée dans le véhicule. Ce n’est cependant pas cela qui a causé la mort mais un accident fortuit à quelques mètres du camp de départ du safari. M. Van Kerkenveg a fait un choc allergique après une double piqure de scorpions. Son corps en partie dégradé par les animaux nocturnes a été retrouvé au petit matin par les gardes du camp. M. Van Kerkenveg laisse une femme et deux enfants en bas âge.





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  • Commentaires

    2
    Mardi 14 Janvier 2014 à 21:33

    L'Afrique sauvage, la montagne, la mer, les gouffres, on peut généraliser. Quand l'homme se croit de taille à défier la Nature et perd la conscience de ses propres limites et faiblesses, en général il le paye cash ou en tout cas ça coûte cher à la communauté pour le sauver.....

    Moi, j'ai vu des plaisanciers sortir d'un port breton en pleine tempête quand les pêcheurs professionnels restaient prudemment à l'abri! 

    1
    Mardi 14 Janvier 2014 à 21:30

    Ha ! le malheureux imprudent ... ou concours de circonstance ...

    On peut aimer l' aventure et vivre dangereusement ...mais à ce point !!

    Cela me rappelle lors de mon safari photo au Kénia, rien de bien particulier, sauf, lorsqu' un éléphant  s' avance,  feint de charger et tente de vous impressionner  ; on comprend alors que notre place n' est pas sur leur territoire !! ne pas déranger ......

    Je   souhaite une bonne lecture à vos lecteurs ..

    Amicalement.

    Nadège.

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